Rapport de Monitorat 3e année

1999/2000

Enseignement et réalité virtuelle



 
Dupuy Sophie

Sophie.Dupuy@imag.fr

Lafabrie Olivier

olivier.lafabrie@univ-savoie

Sibert Eric

Eric.Sibert@lepmi.inpg.fr

Tardif Laurent

Laurent.Tardif@inrialpes.fr


 

Résumé





Ce mémoire a pour but de discuter la place que peut occuper la réalité virtuelle dans l'enseignement. Un système de réalité virtuelle est une interface qui implique de la simulation en temps réel et des interactions par de multiples canaux sensoriels (vision, audition, toucher, odorat ou goût). Nous présentons de tels systèmes existants pour l'enseignement. Ces exemples d'application sont tirés de domaines variés afin de montrer que la réalité virtuelle suscite de nombreux espoirs aujourd'hui.
Nous présentons quelles sont les attentes en matière d'utilisation de la réalité virtuelle pour l'enseignement, tant pour les étudiants que pour les enseignants. Puis au vu des expériences existantes, nous faisons un bilan des bénéfices concevables, les deux apports principaux étant le développement de l'autonomie de l'étudiant et la visualisation de concepts complexes.
Nous étudions aussi les limites de la réalité virtuelle pour l'enseignement. Celles-ci sont à la fois d'ordre technique et humain. Nous discutons en particulier, les problèmes liés à la qualité du contenu d'un cours virtuel et ceux liés aux relations enseignant/étudiant et étudiant/étudiant.
Enfin nous proposons en conclusion quelques principes qui pourraient s'avérer nécessaires à une intégration harmonieuse de la réalité virtuelle dans l'enseignement.

Mots-clés : enseignement, réalité virtuelle, intégration, exemples, bénéfices, limites
 
 

PLAN

1. Introduction *
2. La réalité virtuelle aujourd'hui *
    2.1. Espoirs et attentes de la réalité virtuelle *
        2.1.1. Pour les étudiants *
        2.1.2. Pour l'enseignement *
        2.1.3. Pour les matières enseignées *
        2.1.4. Pour l'enseignant *
    2.2. Exemples d'application *
        2.2.1. Apprentissage de geste *
        2.2.2. Apprentissage de connaissances *
3. Apports potentiels de la réalité virtuelle *
    3.1. Visualisation de concepts *
    3.2. Développement de l'autonomie des étudiants *
    3.3. Facilité d’accès aux connaissances *
    3.4. Entraînement à des situations critiques ou coûteuses *
4. Limites de la réalité virtuelle *
    4.1. Les limites techniques *
    4.2. Coûts *
    4.3. Le contenu et sa présentation *
    4.4. Relations enseignant/étudiants et étudiants/étudiants *
    4.5. Mais aussi … *
5. Conclusion *
    5.1. Résumé *
    5.2. L'informatisation de l'enseignement *
    5.3. Quelle utilisation de la réalité virtuelle pour l'enseignement? *
6. Références *

  1. Introduction

  2. L’enseignement est le processus par lequel un enseignant guide un étudiant dans son apprentissage. Au cours de cet apprentissage l’étudiant pourra acquérir un ensemble de connaissances que ce soit sur le monde réel qui l’entoure, sur des concepts abstraits, sur l’apprentissage de gestes précis. L’essor des techniques informatiques a permis l’utilisation de nouveaux outils tel que l’hypermédia, le multimédia ou la réalité virtuelle pour aider l’enseignant et l’étudiant dans cette tâche.
    Au cours de ce mémoire nous nous intéresserons à l’utilisation de la réalité virtuelle dans l’enseignement. La réalité virtuelle recouvre l’ensemble des techniques permettant de plonger un individu dans un environnement artificiel, créé et modifié par un ordinateur. Une définition plus précise de la réalité virtuelle est donnée dans [Bur93] :
    " Un système de réalité virtuelle est une interface qui implique de la simulation en temps réel et des interactions via de multiples canaux sensoriels. Ces canaux sont ceux de l'homme : vision, audition, toucher, odorat et goût."
    Donc, grâce à des périphériques l’utilisateur peut se déplacer, interagir avec les objets et ressentir des sensations. Dans ce rapport, nous appellerons réalité virtuelle tout système qui permet d’immerger complètement un étudiant dans un monde virtuel. L’étudiant n’a alors plus de contact direct avec le monde réel. Avec cette définition nous écartons tous les systèmes de type réalité augmentée, et les techniques d’enseignement à distance [GTC96, ADE, Viv].
    L'introduction de la réalité virtuelle dans l'enseignement pourrait modifier considérablement les techniques pédagogiques et l'organisation des enseignements actuels. Les attentes et les espoirs soulevés par cette nouvelle technologie sont nombreux, mais peut-être parfois injustifiés. Le but de ce mémoire est d'essayer de comprendre quels sont les apports réels et les limites de la réalité virtuelle afin de proposer des pistes sur la mise en place d'enseignements virtuels. Pour mener cette étude, nous nous sommes tout d'abord intéressés aux systèmes de réalité virtuelle pour l'enseignement déjà existants car, même s'ils souffrent du manque de maturité du domaine, ils offrent une première idée de ce que pourraient être les systèmes futurs. A partir de ces expériences et de celles menées dans le domaine du multimédia, nous avons essayé de faire un bilan des bénéfices et des limites de l'utilisation de la réalité virtuelle pour l'enseignement.
    Au cours de ce mémoire nous décrirons tout d'abord les espoirs et les attentes soulevés par la réalité virtuelle (section 2). Dans un deuxième temps nous présenterons différentes expériences permettant d'illustrer l'utilisation de la réalité virtuelle aujourd'hui (section 2), dans un troisième temps nous ferrons une analyse critique de l'utilisation de la réalité virtuelle (section 3 et 4) avant de conclure (section 5).
     
  3. La réalité virtuelle aujourd'hui

  4. Actuellement la réalité virtuelle est surtout connue pour son utilisation dans les domaines de l'entraînement et du jeu. Une des interrogations concernant la réalité virtuelle est son utilisation en dehors de ces domaines. Dans ce rapport, nous nous intéressons en particulier à son application dans l'enseignement. De nombreux projets soulèvent la question des apports de celle-ci à l'enseignement [VFTS, ISR]. L'utilisation de la réalité virtuelle permet d'espérer de nombreux bénéfices pour l'enseignement, aussi bien au niveau de l'étudiant et de son accès à la connaissance, que pour le développement de nouveaux enseignements.

    Dans un premier temps, nous présenterons les différentes attentes vis à vis de la réalité virtuelle et, dans un second temps, nous étudierons quelques expériences qui permettront de mettre en avant cet apport.

    1. Espoirs et attentes de la réalité virtuelle

    2. La réalité virtuelle semble pouvoir apporter de nombreux bénéfices aussi bien pour les étudiants et les enseignants que pour l'enseignement en général.

      1. Pour les étudiants

      2. Les étudiants peuvent espérer retirer des bénéfices de la RV sur plusieurs aspects. La référence [You98] suggère que l’étudiant peut espérer gagner en autonomie grâce à un accès facilité aux connaissances. Il pourra ainsi évoluer vis à vis de la connaissance de façon autonome, l'enseignant n’étant plus qu’un guide pour lui.
        La réalité virtuelle peut aussi aider les étudiants ayant des déficiences physiques [ELE] en leur permettant d'agir dans le monde virtuel sans être handicapés. Le mode d'interaction permet d'améliorer ou de palier les incompétences physiques d'une personne. Par exemple une personne à mobilité réduite dans le monde réel, peut avoir une mobilité normale ou équivalente à celle des autres étudiants dans le monde virtuel.

      3. Pour l'enseignement

      4. Un des premiers apports de la réalité virtuelle, par rapport à des environnements multimédia par exemple, est qu'elle permet l'immersion de l'étudiant et la reconstruction du travail en groupe [You98], chose qui était perdue avec les environnements interactifs actuels.

      5. Pour les matières enseignées

      6. La réalité virtuelle pourrait permettre l’émergence de l’enseignement de nouvelles matières [VRC]. En effet, certaines matières ne sont pas enseignées du fait de problèmes de coûts, de disponibilités de locaux ou de matériels, de l'utilisation de matériels chers ou très spécifiques et donc rares [VETL1], de matières à risque (chimie, nucléaire, …) [VRC], mais c'est aussi le cas pour les matières qui nécessitent l'utilisation de matériels de pointe devant être mis à jour régulièrement [VETL2, VETL3].
         

      7. Pour l'enseignant
      Dans [Bel95], nous pouvons trouver une réflexion poussée sur la pédagogie, et sur l'apport potentiel de la réalité virtuelle pour l'enseignant. Il décrit une analyse complète de l'utilisation de la réalité virtuelle par l'enseignant pour améliorer l'enseignement. On peut résumer ces apports en quatre points :
      - elle permet de répondre aux attentes des étudiants sur des faits, des expériences ou des données réelles, en fournissant des représentations tangibles de concepts abstraits.
      - elle permet d'augmenter l'utilisation des différents sens lors de l'enseignement. L'ouï, sens très important peut être utilisée de façon plus intense, à des fins de réalisme. Par exemple, lors d'une simulation de collision de molécules en chimie, un son intervient à l'instant de la collision. Cet artifice, qui peut ressembler à un gadget, et très important pour la perception réaliste de l'expérience auprès des étudiants.
      - elle permet à l'étudiant de naviguer de façon libre et autonome dans l'expérience, évoluant ainsi à son rythme et guidé par le professeur.
      - l'étudiant peut être complètement actif dans l'expérience du fait de son immersion de ces faits, l'enseignant à sa disposition un outil, qui lui permet de répondre à de nombreuse attentes de ses étudiants. Mais pour cela il devra apprendre à utiliser cet outil puissant et aider les étudiants à l'appréhender.
       
    3. Exemples d'application
Nous allons nous intéresser maintenant à quelques exemples d'utilisation de la réalité virtuelle. Ces exemples, aussi variés que les domaines auxquels ils font référence, montrent combien l'utilisation de la réalité virtuelle suscite de nombreux espoirs aujourd'hui.
 
 

Avant de commencer on peut signaler que l'enseignement peut se décomposer en deux grandes catégories:

Nous allons illustrer ces deux catégories par des exemples d'expériences en réalité virtuelle.
      1. Apprentissage de geste

      2. Ces techniques sont aujourd’hui bien développées et intégrées dans le processus d’apprentissage que ce soit par exemple pour l'apprentissage du pilotage d'avion, la manipulation de matériels militaires ou la médecine. Ces techniques sont aussi utilisées dans des domaines avec moins de moyens, notamment pour l'apprentissage et la manipulation de machines bien précises. Nous allons voir dans cette partie trois exemples qui permettent d'illustrer ces techniques.

        Apprentissage de manipulation

        Nous présenterons dans un premier temps une expérience ([VET]) dont le but est de fournir à l'étudiant un environnement fidèle à la réalité où il peut apprendre à manipuler une machine dans son contexte (Figure 1a), sans risque avec une aide du système accessible (Figure 1c).
         

        a) 


         
         

        b)

        c)

        Figure 1 : Apprentissage de geste


        La médecine

        La réalité virtuelle permet l'entraînement des étudiants dans des situations critiques. Ce que nous appelons critique, sont toutes les situations où le matériel utilisé par les étudiants est par exemple fragile, et où les manipulations doivent être expertes. C'est aussi le cas en médecine, où les étudiants ont besoin de s'entraîner avant de travailler avec des patients [Küh, Del94, Aul99].
        Dans [Küh] l'exemple décrit comment la réalité virtuelle permet de modéliser le crâne humain, c'est à dire, les os, les muscles et la peau, permettant ainsi aux étudiants de s'entraîner et de voir le comportement des différentes parties au cours d'une opération de découpage du crâne.
        Dans le deuxième exemple [Aul99,Figure 2], le système fournit des interfaces haptic et graphique qui permettent de représenter une partie du corps humain et notamment la texture et la densité de la peau. Cette approche permet de d'avoir un rendu réaliste pour les étudiants, et leur permet de réaliser des manipulations sans aucun danger pour un patient.
         


        Figure 2 : Modélisation avec retour d'efforts

        Cette technique va se développer pour permettre la création d'environnements permettant d'avoir des représentations du cœur avec des retours d'effort.

        L'aérospatiale

        Depuis de nombreuses années, la réalité virtuelle a été employée pour apprendre aux pilotes a naviguer sur différents types d'appareils dans différentes conditions. Aujourd'hui la réalité virtuelle sert aussi à préparer les différentes missions dans l'espace. La NASA l’utilise pour préparer chaque mission. Les astronautes font des séances où ils font et refont les gestes qu'ils auront à effectuer dans l'espace de manière à ce que ces gestes soient naturels et automatiques.
        On peut voir dans la figure 3.a une prise de vue réelle de l'astronaute faisant sa manipulation, et dans la figure 3.b et 3.c, deux des scènes qui lui ont servies au cours de son entraînement.
         

        Figure 3 : Entraînement à la NASA

      3. Apprentissage de connaissances
De nombreuses expériences ont été développées autour de l'enseignement assisté par la réalité virtuelle. Parmi les expériences généralistes on peut citer la création d'un campus virtuel [TEF]. De nombreuses expériences plus ponctuelles ont été réalisées dans des domaines très variés comme l'enseignement de langues, la chimie, la physique, la géologie. Nous allons en présenter quelques-unes dans cette section.

Enseignement de langues

Un exemple significatif pour illustrer la réalité virtuelle est l'utilisation pour l'enseignement des langues. C'est sans doute un des exemples qui illustre le mieux l'apport de l'immersion par rapport un enseignement classique.
Dans [Ros95], la réalité virtuelle est utilisée pour l'enseignement du japonais. Les étudiants sont immergés dans un monde virtuel avec lequel ils peuvent interagir. L'apprentissage du japonais se fait par immersion totale. L'étudiant dialogue avec le système qui lui demande d'effectuer des tâches élémentaires que l'étudiant réalise. Le système évalue la pertinence de l'action réalisée et réagit en fonction de celle-ci.

Visualisation du microscopique
 


L’expérience décrite dans [Ded] a été réalisée pour permettre aux étudiants d'examiner et de manipuler les forces et les champs magnétiques, l’objectif pédagogique étant de faire découvrir aux étudiants de façon empirique la loi gaussienne. Ils peuvent, par manipulation, placer des charges positives ou négatives dans un espace, et observer les effets en terme de champs magnétique résultant.


Figure 4 : Gauss 1

Ensuite, il peuvent déplacer les différentes charges, et ainsi voir les effets de leurs manipulations.


Figure 5 Gauss 2

De même, en chimie ou en biochimie, ils peuvent observer les molécules au niveau atomique. L’utilisation de plusieurs modèles de représentations permet de mettre plus facilement en avant certaines propriétés particulières des molécules. Ils peuvent, en déformant manuellement une molécule, éprouver les forces de rappel qui existent au sein de celle-ci et ainsi mieux comprendre les paramètres qui influencent la structure et la réactivité d’une molécule.
 


Figure 6 : molécule d’A.D.N., modèle " éclaté "


Figure 7 molécule 2, modèle compact


Visualisation de concepts abstraits La réalité virtuelle est aussi utilisée pour la visualisation de concepts abstraits tels que la physique newtonienne. Dans [Sal99] la réalité virtuelle est utilisée pour illustrer des concepts abstraits comme l'énergie potentielle.


Figure 8 newtown 1

Les étudiants, par manipulation, peuvent se saisir de boules de différentes masses et les manipuler, et ainsi sentir la force. De plus, il peuvent aussi les lancer, ou les lâcher, et, dans ce cas, le système représente l'énergie potentielle, énergie complètement abstraite, qu'il est difficile de représenter et de faire sentir aux étudiants par d'autre moyen.


Figure 9 newton 2

Entraînement à des situations critiques et coûteuse La réalité virtuelle peut aussi être utilisée pour les expériences dangereuses ou coûteuses. Dans cette catégorie nous mettons les expériences chimiques, nucléaires.
Un des exemple sans doute le plus complet en terme de réalité virtuelle consiste en [VETL]. Cette expérience modélise une usine chimique. Dans un premier temps, les étudiants arrivent dans un hall d'accueil [Figure 10] à partir duquel ils peuvent aller dans différents endroits comme le silo [Figure 11] ou une salle de contrôle [Figure 12].

Figure 10: hall d'accueil

Dans la salle interne les étudiants peuvent observer les réactions chimiques. Une courbe complète les informations en temps réel. De plus, ils peuvent voir de plus près les réactions chimiques qui se produisent.

Figure 11 colonne de distillation industrielle

Figure 12 salle interne

La [Figure 13] montre jusqu'à quel point de détails les étudiant peuvent aller.

Figure 13 l'infiniment petit, vue des molécules à l’intérieur d’un catalyseur

Cette expérience est sans doute celle qui permet de mieux illustrer les différentes possibilités de la réalité virtuelle.

Excursion géologique sur le terrain La sortie d’étude sur le terrain est un élément important de la formation d’un géologue. Les entreprises attendent d’un étudiant qu’il en ait effectué une centaine à la fin de ces études. L’université d’Edinburgh [VLDTK] a voulu examiner si la réalité virtuelle pouvait améliorer cette pratique pédagogique. En effet, ils rencontrent de nombreuses difficultés lors de ces sorties. L’une d’elle provient des conditions climatiques de la région concernée : la pluie rend la progression sur le terrain difficile alors que la neige et le brouillard masquent les formations géologiques. L’accès routier pose aussi des problèmes, aussi bien avec les phénomènes météorologiques cités précédemment qu’en terme de temps de transport et de coût. Enfin, les personnes à mobilité réduite ne peuvent en général pas suivre les sorties sur le terrain.
Face à toutes ces difficultés, le recours à la réalité virtuelle pour réaliser les sorties sur le terrain peut sembler intéressant. Néanmoins, en l’état actuel de la technologie, et pour des coûts raisonnables, il n’est pas possible de réaliser une immersion suffisante. Aussi, l’université d’Edinburgh a-t-elle réalisée un comparatif entre réalité virtuelle " légère ", multimédia et documents classiques pour la préparation des sorties sur le terrain. Il ressort de cette étude que l’utilisation de la réalité virtuelle permet d’améliorer l’orientation spatiale des étudiants concernés. Cet avantage semble s’atténuer dans le temps.
  1. Apports potentiels de la réalité virtuelle

  2. L'évaluation des différentes expériences est essentiellement tirée de [Ros95] et de [Bel95]. Il s'avère que l'utilisation de la réalité virtuelle est très prometteuse et répond plutôt bien aux attentes. Les deux points qui semble être les plus importants dans cette réussite sont la visualisation de concepts qui ne pourraient être vus sinon (immersion à l'intérieur des objets) qui permet aux étudiants de rendre concrets des concepts ou des objets qui étaient jusque là abstraits, et l'aspect découverte des étudiants qui fait que les étudiants sont très volontaires dans l'expérience. Mais ces expériences ont aussi montré que la réalité virtuelle a permis dans de nombreuses expériences de multiplier ce qui est appelé classiquement les travaux pratiques, en réduisant les problèmes de coût en homme, machine et matériel. En effet, l'étudiant peut réaliser autant de fois qu'il le désire une expérience donnée.

    1. Visualisation de concepts

    2. Un des points les plus prometteurs de la réalité virtuelle pour l’enseignement est qu’elle permet de visualiser des concepts abstraits et/ou complexes comme nous l’avons illustré précédemment pour la physique newtonienne. Cela offre aux étudiants un moyen de mieux comprendre ces concepts en les " expérimentant " : non seulement les étudiants voient comment se décompose un phénomène complexe, mais ils peuvent aussi changer les données de ce phénomène afin de voir les modifications induites.
      Enfin l’exploitation de différents sens permet une meilleure perception des phénomènes. Dans le cas de la visualisation de concepts, la réalité virtuelle procure un réel bénéfice pédagogique qui est impossible sans elle.

    3. Développement de l'autonomie des étudiants

    4. Dans un système de réalité virtuelle d’enseignement, les étudiants peuvent se former à leur rythme et suivant leurs préférences. Ils ont le choix des moments où ils désirent étudier et de l’ordre des concepts à aborder. Ils peuvent approfondir les notions qui les intéressent ou revenir sur celles mal assimilées. La réalité virtuelle permet donc une individualisation plus poussée de l’enseignement.
      Si l’enseignement est plus individualisé, il oblige aussi les étudiants à être plus autonomes. En effet, ce sont eux qui décident de leur progression et qui jugent des explications complémentaires qui leur sont nécessaires. L’enseignant n’est donc plus un maître qui assène des connaissances, mais un guide qui est présent pour répondre aux besoins spécifiques de chacun.

    5. Facilité d’accès aux connaissances

    6. Un des principaux avantages d’un système informatisé pour l’enseignement est qu’il tient toujours à disposition les connaissances nécessaires aux étudiants. C’est ce qui permet une réelle individualisation de l’enseignement.
      De plus, dans de tels systèmes, les déficiences physiques ne sont plus une limite à l’apprentissage de connaissances. L’accès aux connaissances est donc facilité pour tous sans distinction.

    7. Entraînement à des situations critiques ou coûteuses


    De nombreux exemples d’utilisation de la réalité virtuelle pour l’enseignement concernent l’entraînement à des situations critiques ou coûteuses. En effet, si le matériel à utiliser est fragile ou dangereux, il semble préférable que les étudiants puissent s’entraîner sur des simulations avant de travailler sur des cas réels. Cela permet de limiter les risques d’accidents.
    De même, il est parfois plus économique de créer un système de réalité virtuelle que de proposer aux étudiants une expérimentation réelle. Un exemple typique est le cas des expériences nucléaires qui sont non seulement dangereuses mais aussi très coûteuses.
    Il existe aussi des cas où l’utilisation d’un système informatique est le seul moyen de proposer un entraînement aux étudiants. C’est par exemple le cas des excursions géologiques sur le terrain en Ecosse qui, pour cause de mauvaises conditions météorologiques, ne seraient pas réalisables.
    Au vu des différents bénéfices apportés par la réalité virtuelle à l’enseignement, on peut conclure qu’elle répond dans de nombreux cas aux attentes aussi bien des étudiants, des enseignants qu’à celle de l’enseignement en général.
     

  3. Limites de la réalité virtuelle

  4. Comme nous l'avons vu précédemment, il n’existe à ce jour, que peu de retours d'expériences. Néanmoins, certaines limites reconnues pour le multimédia concernent aussi la réalité virtuelle et nous pouvons supposer que d’autres problèmes seront identifiés avec le temps.

    1. Les limites techniques

    2. La réalité virtuelle pose tout d'abord des problèmes techniques. En effet, l'environnement technique ne doit pas être un frein à l'apprentissage. Il doit être rapide, convivial et fiable. Il faut pouvoir déterminer le niveau de détail à une vitesse pratique. Comme pour les environnements multimédia [Gui93, Ber95], il se pose alors le problème de la capacité d'interaction de l'environnement qui doit prendre en compte la diversité, l'organisation des connaissances dans leur champ contextuel et la diversité des contrats didactiques dans l'interaction. En particulier, il est difficile d'effectuer automatiquement des diagnostics d'erreurs ou de proposer des corrections dépendantes du type d'erreur commise [Noe93].
      L’utilisation de la réalité virtuelle ne peut se faire sans l’aide de périphériques qui permettent à l’utilisateur d’être en totale ou même partielle immersion. Outre les périphériques intégrant les sens tels que la vue et l’ouïe, il existe aussi des périphériques gérant le sens tactile (bornes d’arcade secouant l’utilisateur, " data-glove " simulant une pression au bout des doigts, …)[Ant96]. Le prix et la rareté de tels périphériques limitent ainsi le nombre d’applications les prenant en compte et par la même occasion, limitent le nombre d’utilisateurs. En ce qui concerne l’odorat, il n’existe pas encore de logiciels " odorants ", même si ce sens commence à être sollicité dans des domaines où il était totalement absent il y a peu. Cependant, il semble difficile d’appliquer tout ceci à l’informatique. Il faudrait donc créer de nouveaux périphériques (pour certains sens qui ne sont pas encore présents) qui auraient besoin dans un premier temps de nouvelles technologies (pour transformer des impulsions électriques en odeurs par exemple).
      Enfin le dernier frein technique à l'utilisation de la réalité virtuelle dans l'enseignement est le problème de l'accès à ces technologies : peut-on imaginer que chaque foyer disposera un jour d'équipements de réalité virtuel ou l'utilisation de la réalité virtuelle se limitera-t-elle aux enceintes des établissements d'enseignement ?
      De plus, peut-on imaginer que les établissements d’enseignement pourront financer l’équipement de leur salles de cours virtuels ?
       

    3. Coûts

    4. Le coût des périphériques existant est un obstacle à l’équipement massif des salles de cours virtuels ainsi qu’à l’équipement des particuliers pour leur salle virtuelle de cours virtuels. Cet équipement lourd rend donc la réalité virtuelle incompatible avec l’enseignement à distance [Alb99-1, Alb99-2].
      Un autre point important concerne les moyens humains à mettre en œuvre pour le développement de logiciels utilisant la réalité virtuelle. Pour créer un outil efficace, il est nécessaire de disposer d’une réelle pluridisciplinarité et donc d’un nombre important d’intervenants (sociologues, informaticiens, spécialistes des matières à " enseigner ", …). Il faut aussi structurer judicieusement le projet, afin de permettre un travail de collaboration réelle entre les divers intervenants. Avec la durée importante que cela engendre pour la conception et la réalisation d’un tel projet, nous pouvons penser aisément que la mise en œuvre de tels moyens humains ne se fait et ne se fera pas gratuitement, ce qui semble bien évidemment normal.
      Bien que nous ayons argumenté précédemment que la réalité virtuelle réduisait les coûts de l'enseignement, cette affirmation est donc à nuancer. En effet, le développement d'un cours virtuel est très coûteux et son utilisation l’est aussi, avec tous les périphériques que cela nécessite. A titre d’exemple, le coût d’un logiciel pour l’entraînement médical et du matériel qui l’accompagne est de 2,5 millions de francs (ceci ne permet qu’à une seule personne de s’entraîner !) [Sto96]. Pour être rentable, l'investissement doit permettre de supprimer des coûts importants tels que des frais de déplacement ou d'utilisation de matériels spécifiques et chers. Sinon il reste plus intéressant financièrement de proposer un enseignement non virtuel.
       

    5. Le contenu et sa présentation

    6. Mais le grand danger est de vouloir utiliser les nouvelles technologies partout sans soucis de finalité. Dans un environnement d'apprentissage utilisant la réalité virtuelle, la dérive peut être de soigner la présentation au détriment du contenu. Il est toujours difficile de décider du contenu d'un cours. Mais dans le cas de l'utilisation de la réalité virtuelle, il existe en plus le danger que la fonction d'enseignement échappe aux universités [Uni96]. En effet, la diffusion à grande échelle de cours intéresse les entreprises qui voient là un moyen de faire d'énormes bénéfices ou/et de contrôler les connaissances. Le rôle des universités pourrait au mieux se réduire à l'évaluation et la certification des étudiants. Cette globalisation de l'enseignement n'irait pas forcément dans le sens d'une amélioration de la qualité des enseignements.
      La globalisation pose aussi le problème de la présentation des informations : une définition des connaissances est toujours subjective, alors il paraît difficile de créer des environnements qui correspondent à la spécificité culturelle de chacun. Dans ce cadre, il semble nécessaire d'être capable de donner plusieurs explications à un même phénomène ou de reformuler les questions. Enfin chaque étudiant doit disposer de supports lui permettant de faciliter sa mémorisation par une prise de notes adaptée (écrite, orale, autre?) et facilement accessible ensuite [Abo96]. Or il semble difficile d'adapter un environnement virtuel à chaque étudiant.
      Chacun doit être à l'aise dans l'environnement virtuel. Cela signifie que les informations données par l'environnement sont facilement compréhensibles et doivent permettre à chacun de construire sa " propre construction du sens"  car l’information mise à disposition par un environnement interactif n’a de sens que dans la mesure où l’étudiant peut se construire sa propre compréhension et l’incorporer dans un ensemble. En effet, " notre intelligence est le fruit d’une construction active à partir de notre expérience personnelle. " [Ack95]. Or à trop vouloir engager l’étudiant, on en vient parfois à l’enfermer dans des univers où il se perd [Ack95]. Un environnement interactif doit permettre de gérer une alternance indispensable entre immersion et distanciation afin que l’étudiant prenne du recul. Une des difficultés est que l’étudiant réussisse à faire le lien entre le monde artificiel de l’environnement de réalité virtuelle et le monde réel aux quels s’appliquent les concepts exposés dans le monde artificiel.

      De plus, le contenu d’un environnement d’apprentissage utilisant la réalité virtuelle est confronté plus qu’aucun autre aux limites des connaissances scientifiques. En effet, si la réalité virtuelle est un formidable outil de visualisation des phénomènes complexes, comment peut-elle représenter des phénomènes que partiellement maîtrisés ?

    7. Relations enseignant/étudiants et étudiants/étudiants

    8. Pour les enseignants, il est aussi plus difficile de garder le contrôle de la situation d'apprentissage [Bal98]. En effet, dans une situation d’enseignement, l’enseignant doit avoir une idée de comment les étudiants vont comprendre les concepts, de pourquoi un étudiant construit une idée plutôt qu’une autre. Il doit donc donner du sens à la production de l’étudiant pour prévoir les événements que tel ou tel exercice va engendrer. L’environnement doit donc laisser à l’enseignant un certain contrôle de l’apprentissage afin qu’il puisse réagir de la façon la plus adéquate puisque comment nous l’avons exposé dans la section précédente, un environnement " automatique " peut difficilement le faire.
      Outre le contrôle de la situation d’enseignement, il semble évident que la nature des rapports entre enseignant et étudiants va changer. Les étudiants doivent devenir plus actifs, plus autonomes. Le rapport avec l’enseignant est beaucoup moins personnel et la nécessité d’être plus autonomes ne favorisent pas particulièrement les étudiants les plus en difficulté qui ont besoin de plus d’attention.
      Enfin dans l’enseignement traditionnel, l’étudiant acquiert une culture propre à la communauté scientifique ou professionnelle à la quelle il se destine. Or de ce point de vue, il semble peu probable que les nouvelles technologies de l’information et de l’éducation puisse se substituer efficacement aux contacts étudiant/professeur. [Ped96].
      Les avantages précédemment exposés de l’enthousiasme des étudiants devant ces nouveaux outils, sont aussi à nuancer. En effet, ceci est certes un avantage mais cet enthousiasme ne vient-il pas de la nouveauté de tels outils ? Nous pouvons nous poser la question et savoir si cela durera ou non, auquel cas cet avantage n’en serait plus un.
      Vient aussi la question des relations entre étudiants, car on peut aisément concevoir que celles-ci soient profondément modifiées par l'utilisation d'un environnement virtuel. Il est très important de prendre en compte la collaboration devant et via la machine. En effet, la construction active du sens requiert une mise en forme personnelle ou une expression et un échange avec autrui. Des travaux ont montré que les étudiants interagissent souvent intensivement face au système (souvent plus qu’en classe où il ont tendance à se taire). Il est apparu que les interactions entre étudiants peuvent être plus intéressantes que les interactions étudiant-machine, au point que le logiciel est alors conçu comme support à l’interaction plutôt que comme interlocuteur [Dil]. Ces relations primordiales à l’apprentissage ne seront-elles pas mise à l’écart avec l’apparition de la réalité virtuelle ?

    9. Mais aussi …


    Une autre limite qui apparaît est celle de la mise place très lente qui se fait au niveau de l’informatique, quand elle existe ! D’une part, la réalité virtuelle a besoin de machines puissantes qui sont souvent désuètes au bout de 2-3 ans ; mais il y a aussi et surtout le temps nécessaire pour former les enseignants à leur nouveau métier (très majoritairement accès sur la pédagogie) alors que ceux-ci commencent juste à être formés sur les nouvelles technologies de l’information et de l’éducation.
    De façon peut-être plus anecdotique, on peut aussi se poser la question de l'impact sur la santé de l'utilisation de la réalité virtuelle. Comme l’utilisation des ordinateurs, ne générerait-elle pas auprès des étudiants de la fatigue visuelle ou de la tension nerveuse ?
     

  5. Conclusion
    1. Résumé

    2. Nous avons étudié la place de la réalité virtuelle dans l'enseignement en nous basant sur des exemples d'application variés. Au vu de ces expériences et de celles menées dans le domaine du multimédia, un bilan des bénéfices et des limites de l'enseignement virtuel a été dressé.
      Du point de vu des avantages, les deux principaux sont le développement de l'autonomie des étudiants et la visualisation de concepts complexes.
      Pour les limites, elles sont à la fois d'ordre technique et humain. En effet, nous avons vu que le développement d'enseignements virtuels pose des problèmes quant à la qualité des contenus et à son contrôle. Du point de vu humain, les limites sont liées aux modifications des relations entre enseignants et étudiants et entre étudiants entre eux.

    3. L'informatisation de l'enseignement

    4. L'instrumentalisation de notre société est une évolution profonde. L'enseignement, en général, et celui dispensé à l'université, en particulier, ne peut pas et ne doit pas se tenir à l'écart de cette transformation, sous peine de se déconnecter de la société. Cette évolution tend à modifier le rapport au savoir : les techniques d'enseignement changent et modifient ainsi les rôles de l'enseignant et de l'étudiant. Les plus positifs diront que l'informatisation de l'enseignement impose une réflexion globale et une prise de recul sur les pratiques pédagogiques, permettant déjà un progrès dans l'enseignement informatisé ou non.
      La réalité virtuelle, au même titre que le multimédia, est un des instruments de l'informatisation. Néanmoins, de part son principe, la réalité virtuelle implique des changements beaucoup plus profonds. Toutefois, ces changements ne sont pas forcément positifs et il faut se garder de tout triomphalisme. La réalité virtuelle doit être vue comme un nouvel instrument au service de l'enseignement et non une fin en soi.
       

    5. Quelle utilisation de la réalité virtuelle pour l'enseignement?


    Il apparaît en particulier important que l'utilisation des nouvelles technologies de l'enseignement ne pénalisent pas le dialogue, mais au contraire le favorisent. En effet, le dialogue reste essentiel pour la construction du sens.
    Dans ce cadre, le rôle de l'enseignant va évoluer. Il sera moins le maître qui dispense son savoir à des étudiants mais plutôt un guide qui créera des opportunités d'apprentissage à travers le dialogue. Lorsque l'étudiant éprouvera des difficultés dans la compréhension d'un concept exposé par réalité virtuelle, il s'adressera à l'enseignant, soit directement pendant certaines plages horaires, soit par courrier électronique en dehors des heures prévues.
    Le dialogue entre étudiants doit aussi demeurer au sein de la réalité virtuelle. Les explications que peuvent se donner entre eux les étudiants participent fortement à la construction du savoir. La réalité virtuelle, dans son état de réalisation actuelle, laisse peu de place à cet aspect. Cependant, certaines équipes comme le groupe IIHM du laboratoire Clips-Imag [IIHM], travaillent à recréer ces liens. Dans ces conditions, et seulement celles-ci, nous pouvons espérer une réelle amélioration de l'acquisition des connaissances au sein de la réalité virtuelle par rapport à l'enseignement classique.

    Enfin, il ne faut pas négliger la place de l'enseignant par rapport à la création du contenu. En amont, il doit intervenir en qualité d'expert au l'intérieur de l'équipe de conception. Il participe au choix des éléments à inclure dans le monde virtuel. En particulier, il détermine les éléments qui doivent être mis en valeur en fonction des concepts que doivent découvrir les étudiants. Dans cette phase initiale, il doit aussi contrôler la qualité des réalisations et vérifier qu'elles correspondent aux objectifs assignés précédemment. Ensuite, lors de la conception de son enseignement, il doit pouvoir choisir le détail du contenu qu'il veut employer. Dans le cas d'une séance de travaux pratiques de chimie, il doit pas simplement sélectionner une expérience dans son ensemble, il doit aussi pouvoir choisir chacun de ses éléments ou modifier certaines parties de l'ensemble proposé. Une organisation modulaire, comme celle développée par le projet ARIADNE, représentée sur le site grenoblois par le CAFIM2 entre autre, devrait certainement être étendue à la réalité virtuelle. Elle permet, d'une part un contrôle des enseignants sur les contenus qu'ils veulent transmettre et d'autre part une indépendance vis-à-vis des éditeurs commerciaux.

    Nous pensons que la réalité virtuelle est un nouvel outil au service de l'étudiant. Son contenu doit toujours être contrôlé par l'enseignant. Cet instrument pourra être utilisé soit de façon synchrone, en présence d'un enseignant et d'un groupe d'étudiants interagissant entre eux, soit en libre service. La réalité virtuelle ne devrait donc pas amener de révolution. Par contre, elle devrait être un support pour franchir certains obstacles didactiques et un moyen pour dépasser une partie des contraintes spatiales et temporelles de l'enseignement actuel.

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